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Les skips semblaient empilés les uns sur les autres, comme les pierres du mur d’un ancien temple Massassi, chaque petit vaisseau survolant l’espace situé entre les deux qui se trouvaient sous lui. Les éventuels trous dans cette muraille étaient couverts par les tirs des corvettes disposées en anneau autour du dispositif. Derrière ces corvettes attendaient les frégates et, derrière celles-ci, se trouvait le croiseur à bord duquel était embarqué le yammosk. Luke et ses ailiers décochèrent une nouvelle volée de bombes furtives. Ils regardèrent les projectiles dévier vers les anomalies gravifiques produites par l’ennemi. Les trois Jedi conservèrent le même cap suffisamment longtemps pour inciter les pilotes Yuuzhan Vong à ouvrir le feu de tous leurs canons, pensant ainsi les obliger à prendre la tangente au milieu d’une tornade de plasma et de nuées de grutchins fous furieux. Les trois appareils républicains commencèrent à virer sur l’aile, offrant à leurs adversaires une nouvelle possibilité d’attaque. Mais aucun corail skipper ennemi n’abandonna son poste pour se lancer à leur poursuite. Le Maître de Guerre avait apparemment compris qu’il lui fallait protéger son yammosk et avait dû menacer des pires représailles tout guerrier qui romprait la formation.
Luke ouvrit une fréquence pour appeler le quartier général des Défenses Orbitales. Le commandement y avait été transféré puisque la bataille se déroulait à présent au-dessus de Coruscant.
– Parieur ? Aucune réaction des chasseurs. Le yammosk risque bien de demeurer là.
– Bien compris, Fermier. Pas de quoi être déçu, répondit Lando. Tu les as déjà obligés à se séparer de près de la moitié de leur flotte.
– C’est déjà quelque chose. (Luke n’avait aucune idée de la manière dont Lando était devenu si soudainement le commandeur des opérations spéciales du Général Ba’tra. Mais il était bien trop heureux de disposer enfin de quelqu’un de sa stature et de son expérience comme coordinateur des combats. A en juger par les parasites et les détonations fréquentes qui résonnaient sur le canal, le quartier général devait essuyer des attaques constantes.) Essayons une attaque par vague. Peut-être qu’on pourra créer une trouée.
– Négatif, dit Lando. Attends une seconde. Communication personnelle en provenance de la planète.
Luke sentit une appréhension monter chez Mara. Han et Leia auraient dû quitter Coruscant plus d’une heure auparavant. Mais la communication ne pouvait provenir de personne d’autre.
Han se manifesta sur la fréquence.
– Luke ? Vous pouvez quitter la formation, là-haut ?
– Tu sais très bien qu’on le peut, répondit Mara.
– Vous devez rattraper le paquebot stellaire Byrt. (Les écrans tactiques changèrent d’échelle. Un rectangle de visée se dessina, à environ un quart de la distance de l’orbite complète de la planète, soulignant un appareil de transport de deux cents mètres de long en train de fuser vers l’espace.) C-3PO est à bord avec votre colis…
– C’est de ma faute, intervint Leia sur la fréquence. (Sa voix était aussi fluette qu’une toile de glitterstim.) Viqi Shesh nous a tendu une embuscade à la baie d’accostage. J’étais tellement furieuse que…
– Ne t’inquiète pas, Leia, dit Mara. (Il n’y avait aucune accusation, ni aucune préoccupation, dans sa voix, seulement de la détermination.) On va s’en charger.
– D’accord… (Han eut l’air soulagé.) Nous sommes coincés sur la planète car il faut qu’on refasse le plein de liquide de refroidissement. Shesh a bricolé nos tuyaux d’alimentation et nos câbles.
C’est à ce moment précis que Luke sentit que Mara commençait à se faire du souci. Faire le plein d’une unité de refroidissement pouvait prendre des heures. Et Coruscant ne disposait certainement plus d’un tel délai. Etant donné le nombre de coraux skippers et de vaisseaux d’attaque qui étaient en train de quitter l’orbite pour plonger vers la surface, Coruscant ne disposerait même pas d’une heure entière.
Luke s’apprêtait à envoyer Saba Sebatyne et sa barge d’assaut à la rescousse lorsque la voix de Lando retentit sur la fréquence :
– Ecoute, vieux, ces fichus balafrés vont certainement, d’une minute à l’autre, désintégrer ce tas de boulons sur lequel je me trouve actuellement. Je peux descendre vous chercher avec la Dame Chance…
– Et abandonner le Faucon ? Jamais de la vie ! l’interrompit Han. Vous autres, occupez-vous donc de ce qui se passe là-haut.
– Pigé, dit Luke. Et que la Force soit avec toi.
– Ouais, t’as raison, p’tit gars, et avec toi aussi, dit Han. Solo, terminé.
Les pensées de Luke se braquèrent sur son fils. Mara avait déjà calculé une trajectoire qui leur ferait frôler l’atmosphère en les plaçant dans l’axe du Byrt et d’un millier d’autres vaisseaux décollant d’Eastport ou de la Cité Impériale. Mais il fallait se dépêcher. Les écrans tactiques indiquaient qu’un groupe de frégates Yuuzhan Vong se préparait à intercepter les engins en train de prendre la fuite.
– Parieur ?
– Filez ! répondit Lando. Au point où on en est, on n’est pas à quelques Jedi près.
Luke sortit de la formation juste derrière Mara. Remarquant que Tam était en train de les suivre, il appela son ailier :
– Silencieux ? Reste avec l’escadron. Siffleur ? Prends le commandement. Essaye de tenir le coup le plus longtemps possible. Si les choses se gâtent vraiment, dégagez tous et filez au point de rendez-vous.
– Pas besoin d’aide, Fermier ?
– Si, énormément. (Luke poussa sur son manche et plongea à la suite de Mara sous la structure en flammes d’un croiseur de combat de près d’un kilomètre de long, construit pour la Nouvelle République par les chantiers navals de Kuat.) Mais chaque minute supplémentaire de résistance de votre part peut sauver dix mille citoyens de la Nouvelle République.
– Compris, dit Saba. Compte sur nous pour en sauver au moins un million.
Le haut-parleur produisit un craquement sec. Luke jaillit de l’autre côté du croiseur et découvrit une énorme boule de feu là où, sur son écran tactique, aurait dû se trouver le chasseur stellaire de Mara.
Contournant l’explosion de justesse, Luke appela dans son micro :
– Mara ?
Pas de réponse. Mais elle le contacta dans la Force, l’invitant à ne pas s’inquiéter. Va chercher Ben !
R2-D2 sifflota un avertissement. Luke vira sur la gauche et évita au dernier moment le barrage de vaisseaux ennemis, dont un croiseur, qui avait canardé le vaisseau républicain. Luke programma R2 pour qu’il surveille cette section et se lança dans une manœuvre tourbillonnante. Il vit le chasseur de Mara se dessiner dans les lueurs artificielles de la face nocturne de Coruscant. Son moteur numéro trois crachait des flammes jaunâtres, son droïde-astromécanicien avait été touché et avait perdu son dôme, ses ailerons d’attaque étaient à moitié ouverts. Tout cela ne laissait rien présager de bon quant à ses capacités de tir et de vitesse.
Si cela avait été quelqu’un d’autre que Mara, ou bien si leur mission avait concerné autre chose que la sauvegarde de Ben, Luke aurait ordonné à son épouse de se replier. Mais avec Mara, un tel ordre serait inconcevable tant que Ben ne serait pas en sécurité. Il plaça son Aile-X à côté de celui de sa compagne et indiqua du doigt son générateur de boucliers.
Mara secoua la tête. Plus de boucliers.
Luke prit peur. Il contacta sa femme par le truchement de la Force, bien déterminé à raffermir leur lien mental. Mara lui répondit, glissant son chasseur stellaire derrière celui de son époux avant que ce dernier lui ait adressé le moindre geste.
Ils rebondirent le long des couches supérieures de l’atmosphère, contournant au mieux une bataille isolée, livrée autour d’une résidence orbitale qui se trouvait en géostationnaire basse. Ils encaissèrent alors quelques tirs accidentels provenant de l’échange de feu. A l’approche du Byrt, R2 modifia l’échelle des écrans tactiques, faisant apparaître de plus en plus de détails au fur et à mesure de leur progression. Il devint vite évident que le groupe de frégates Yuuzhan Vong s’apprêtait à intercepter le même paquebot stellaire que Luke et Mara.
Ils quittèrent l’atmosphère et furent bientôt entourés par une douzaine de petites batailles, livrées par des sections d’assaut Yuuzhan Vong croisant le feu avec des plates-formes de défense orbitale de Coruscant. Les envahisseurs l’emportaient mais très laborieusement et, en grande partie, parce qu’ils étaient supérieurs en nombre. A l’œil nu, une douzaine de vaisseaux ennemis vomissaient leurs entrailles dans l’espace. Une centaine de petits vaisseaux, frappés eux aussi, partaient à la dérive le long d’orbites qui finiraient par se dégrader.
Luke entreprit de contourner les différentes poches de combat, ce qui déclencha un sifflement réprobateur de la part de R2-D2. Deux estimations de temps apparurent sur le moniteur, indiquant que les frégates, dans l’état actuel des choses, rejoindraient le Byrt juste avant eux. Luke modifia les alarmes de proximité sur leur réglage le plus sensible et adopta un cap rectiligne.
Quelque chose heurta la partie inférieure de son chasseur stellaire. Luke songea d’abord qu’il était arrivé malheur à Mara. Peut-être avait-elle été de nouveau touchée. Il sentit alors son appréhension dans la Force et comprit qu’elle était toujours là. Son Aile-X fit un autre bond intempestif. Il regarda derrière lui et vit qu’elle avait positionné son appareil légèrement en contrebas du sien. Mara tira sur son manche et heurta son empennage en S contre le flanc du chasseur de Luke. Très violemment.
Lorsqu’elle s’écarta, ses ailerons étaient enfin repliés. Une nouvelle estimation de temps apparut sur l’écran de Luke. Ils allaient intercepter le Byrt quelques secondes avant les Yuuzhan Vong.
– R2 ? Est-ce que Mara est au courant ?
Le droïde siffla de façon excédée. Une explication s’afficha sur le moniteur principal. R2-D2 s’était servi de son transmetteur pour relayer toutes les données sur les moniteurs vidéo de l’appareil de Mara.
– Tu aurais pu me prévenir, dit Luke. Demande à Mara combien il lui reste de bombes furtives.
Dans son cockpit, Mara leva trois doigts. Luke hocha la tête. Il leva à son tour trois doigts mais à deux reprises, puis il ferma ses ailerons d’attaque.
– R2 ? Donne-nous un compte à rebours de deux secondes. Le décompte apparut et, deux secondes plus tard, ils fusèrent à travers la zone de combat, à environ deux tiers de la vélocité maximale des Ailes-X, puisque l’appareil de Mara ne fonctionnait plus qu’avec trois moteurs sur quatre et qu’il fallait éviter tout risque de surchauffe. Luke perdit ses propres déflecteurs lorsqu’une corvette ennemie lança une demi-douzaine de basals dovins. Les anomalies déchiquetèrent les boucliers un par un, déclenchant le signal d’alarme et saturant le générateur, lui-même incapable de programmer de nouveaux systèmes de protection si rapidement. Mais les deux chasseurs dépassèrent les plates-formes de défense et s’éloignèrent des combats, toujours aux trousses du Byrt.
Luke ouvrit un canal de communication à l’attention du paquebot stellaire.
– Paquebot Byrt, modifiez votre trajectoire pour rendez-vous avec les deux Ailes-X venant à votre rencontre. Nous allons éliminer vos poursuivants.
Il y eut une courte pause, puis une voix grave retentit sur la fréquence :
– Vous avez attrapé la fièvre de l’espace, ou quoi ? Vous n’êtes que deux ! (Un second appareil républicain, un élégant yacht spatial des chantiers de Kuat dont le transmetteur ne fonctionnait plus, apparut sur l’écran tactique, juste derrière le paquebot.) Nous préférons courir le risque. Aucune raison qu’ils veuillent nous intercepter.
– Oh que si, dit Luke. (Sur le moniteur, le groupe ennemi, constitué de deux frégates et d’une corvette, était sur le point de rattraper le Byrt.) C’est Luke Skywalker qui vous parle. Vous avez mon fils à votre bord.
– Quoi ? hurla le capitaine. Vous croyez que c’est le moment de plaisanter ?
– Ce n’est pas une plaisanterie, dit Luke. Changez de cap immédiatement !
Même s’il se doutait que cela n’aurait guère d’effet sur les ondes radio, Luke invoqua la Force pour appuyer ses propos.
Et le vecteur du Byrt commença à s’infléchir.
Luke sentit le soulagement de Mara. Il vérifia son écran tactique et constata que le yacht stellaire Kuati continuait de progresser sur la même trajectoire initiale. Une cause de souci en moins. Le Byrt apparut dans le champ visuel, une aiguille de traînées ionisées longue comme le doigt illuminant la proue de corail yorik des appareils lancés à sa poursuite.
Luke pressa la pointe de son index sur le symbole de la corvette qui se trouvait le plus en retrait.
– R2 ? Indique cette cible à Mara et dis-lui d’être prudente.
R2-D2 siffla son acquiescement. Les Jedi se séparèrent, filant chacun vers leurs cibles en exécutant des séries de tonneaux. Les frégates lancèrent leurs skips et commencèrent à vomir des missiles au plasma. Dépourvus de boucliers, Luke et Mara s’en remirent à leur rapidité d’action, confiant leurs mains à la Force pour prendre le contrôle de leurs appareils. Petit à petit, les vaisseaux ennemis grossirent au point d’évoquer d’immenses monolithes de pierre, silhouettes noires et menaçantes se dessinant derrière des murs de flammes. Mara vira en direction de sa corvette, exécuta une vrille pour éviter une demi-douzaine de skips et lança ses bombes furtives.
Luke pivota derrière elle. Les skips mordirent à l’hameçon et se précipitèrent pour l’intercepter. Il changea de cap et se rabattit sur la frégate, évita un missile au magma et trancha un grutchin en deux avec ses ailerons repliés. Il se lança alors sur une trajectoire oblique en direction du flanc de l’appareil ennemi.
Une équipe Vong de protection parvint à détourner l’une des bombes furtives à une vingtaine de mètres de sa cible. Mais les deux autres missiles explosèrent contre la coque. L’une d’elles créa une brèche au milieu du vaisseau, l’autre en déchiqueta la proue. La frégate s’immobilisa et commença à éjecter des débris. Luke passa par-dessus et mit le cap sur la dernière corvette.
Ayant réduit sa première cible en miettes, Mara était également en train de virer vers ce même appareil. Luke perçut sa résolution aussi clairement que sa propre détermination mais, ayant largué toutes ses bombes furtives et son empennage en S étant coincé en position fermée, c’était bien tout ce qui restait à Mara.
– R2 ? Dis-lui d’accoster le Byrt.
Le droïde répondit par la négative. Les deux chasseurs étaient bien trop éloignés l’un de l’autre pour projeter les données sur les écrans vidéo de Mara.
– Génial…
Luke termina sa manœuvre et vit que des skips étaient en train de décoller de la corvette pour l’intercepter. Les deux canons laser du Byrt crachèrent des rayons écarlates sur la proue de son adversaire. La corvette maintint son cap tout en déployant des tentacules d’interception.
Luke bloqua alors ses ailerons en position d’attaque et tira en rafales sur les skips. Grâce au nouveau système de visée installé par Corran, il détruisit prestement les deux premiers engins et obligea les autres à se disperser. Une alarme sonna sur l’écran tactique. Le yacht spatial non identifié avait changé de course et était en train de remonter derrière Mara.
– Quoi encore ? grommela Luke. Relaye donc ça sur les moniteurs de Mara.
R2 émit un sifflement dubitatif.
– Eh bien essaye ! (Luke évita une boule de plasma et fit feu de tous ses canons sur le skip qui l’avait lancée.) Et puis ouvre-moi une fréquence pour contacter ce yacht…
Une demi-douzaine de skips filèrent en direction de Mara. Luke voulut se lancer à leur poursuite et il entendit la voix de son épouse dans son esprit :
Non !
L’image de la corvette apparut comme un éclair dans la tête de Luke. Il comprit que Mara voulait qu’il se consacre au sauvetage de Ben.
Derrière toi ! Luke fit prestement volte-face. Il envoya une volée de rayons vers les skips avant de se diriger à nouveau vers la corvette.
– Et cette fréquence, R2, ça vient ?
Une explication apparut sur le moniteur principal.
– Comment cela ?
La raison du silence du yacht spatial devint claire lorsque l’appareil ouvrit le feu sur Mara. Luke se retourna dans son cockpit et vit des rayons s’abattre sur le chasseur stellaire de son épouse. Il y eut un éclair aveuglant et un morceau d’aile enflammée partit en tourbillonnant dans l’espace.
File ! le pressa Mara. La panique qui transpirait de ses pensées était braquée sur Ben, pas sur sa propre sécurité.
Un mot unique se formula dans l’esprit de Luke. Ejection ! Mara vira sur l’aile et descendit vers la planète, se servant de la Force pour maintenir l’assiette de son Aile-X et éviter de partir dans une vrille incontrôlable lorsqu’elle heurterait l’atmosphère. Luke projeta une onde de la Force pour l’envelopper de tout son amour. Baissant les yeux sur son écran tactique, il découvrit que le chasseur de Mara y était à présent clairement identifié. Tout comme le yacht stellaire. Il était enregistré sous le nom de Plaisir Pervers, appartenant au sénateur Viqi Shesh. Luke inspira profondément puis souffla doucement pour évacuer toute la colère qui était en train de monter en lui. Ensuite, il enregistra les coordonnées du yacht pour que l’ordinateur l’assimile comme une cible principale.
Une boule au plasma frôla le nez de son chasseur et l’écran tactique s’éteignit brusquement. R2-D2 poussa un hurlement au milieu des parasites. Le cri du droïde disparut dans un gargouillis électronique. Les relais de communication venaient de fondre et les différents éléments des batteries de senseurs installées à la proue du chasseur s’éparpillèrent dans l’espace.
Luke remonta en chandelle au milieu des skips, évitant, roulant et pivotant, se servant uniquement de la Force pour viser et faisant mouche à chaque tir. Il réduisit un skip en poussière et découvrit une ouverture qui lui permettrait d’atteindre la corvette. Il ferma ses ailerons et accéléra. Les skips virèrent pour le poursuivre, ouvrant le feu de toutes leurs armes. Les moteurs du chasseur perdirent de la puissance et l’engin décéléra.
Luke décocha tout de même ses bombes furtives. La première fut déviée par l’anomalie gravifique produite par un des skips et s’en alla exploser à une centaine de mètres de là. Les deux autres projectiles semblèrent engloutis par la silhouette obscure de la corvette. Luke poussa avec la Force jusqu’à ce que les détonateurs de proximité détectent l’action d’un basal dovin. Les explosions créèrent deux trous dans la coque de l’engin.
Pas mal… Mais pas de brèche conséquente…
R2-D2 siffla pour attirer l’attention de Luke. Celui-ci regarda derrière lui et vit que deux de ses moteurs, peut-être les quatre, étaient en feu. Il pressa l’interrupteur d’urgence des propulseurs et vira en direction de Coruscant. Il projeta une onde de la Force pour contacter Mara à bord de son Aile-X en perdition.
Je n’ai pas pu le rejoindre, lui dit-il. Je n’ai vraiment pas pu.
Jaina se réveilla en entendant un éclat de rire. Une lumière aveuglante se braqua sur l’un de ses yeux et une puanteur, pareille à celle d’un cabinet de toilette Gamorréen, envahit ses narines. Le rire n’était qu’un jacassement hystérique, le même type de son qu’on entendait couramment dans les cellules Ryll de Kala’uun. Mais la jeune femme se dit que le mal de tête persistant et sa douleur à l’épaule n’étaient probablement pas dus aux effets secondaires d’un mauvais trip aux épices. Non. Le cauchemar était bien réel. La frégate de Nom Anor avait bien abattu sa navette. Jacen et les autres étaient bien retenus en otages sur un vaisseau-monde ennemi. Et Anakin était bien mort.
Le blaster long gronda et un autre jacassement hystérique éclata juste devant Jaina.
– Tu as vu ça ! gloussa Alema Rar. Je l’ai coupé en deux !
– Super, grogna Jaina. (L’effort ne fit qu’accroître sa migraine. Mais ce n’était pas grave. Elle pouvait tirer un peu d’énergie de cette douleur.) Tu n’as qu’à en tuer d’autres…
– Tais-toi, Jaina, dit Zekk sur le ton du reproche. (La lumière aveuglante se braqua sur l’autre œil.) Tu ne sais pas de quoi tu parles.
– Ah, parce que toi, tu le sais ? dit Jaina, envoyant d’un geste balader le bâtonnet lumineux et la pochette de sels à l’odeur repoussante. Tu n’as même pas de frère !
– Mais je sais ce qu’est le Côté Obscur, dit-il. Et ce n’est pas la solution.
– Qui a dit que j’avais basculé dans le Côté Obscur ? demanda Jaina.
– Tu t’es servie de la Force pour tuer. Zekk ne dit rien de plus.
Jaina détacha ses yeux du regard du jeune homme.
– Et alors ? Il l’avait cherché… (Son apathie céda bientôt la place à la fureur brute. Et elle en fut ravie.) Tu as bien vu ce qu’il a fait à Anakin, non ?
– Anakin n’a rien à voir avec une telle fureur, dit Zekk d’un ton maussade. Et Vergere ? Tu l’as attaquée elle aussi…
– J’étais en colère.
Serrant les dents contre la douleur, Jaina se redressa et regarda autour d’elle. L’intérieur de la navette était un véritable capharnaüm. Une très longue fissure s’ouvrait dans l’un des flancs, sur toute la longueur de l’engin. Des capuches de commandement et des villips éclatés, vidés de leurs fluides vitaux, étaient éparpillés sur la passerelle. Jaina se remémora brièvement qu’elle avait lutté avec les commandes pour conserver l’appareil en vol. Elle avait rasé les rebords d’un cratère et la navette, se comportant comme le bloc de roc qu’elle était, s’était écrasée lourdement. L’engin avait rebondi plusieurs fois contre la surface poussiéreuse du vaisseau-monde avant de rouler sur le côté. Elle s’était arrêtée brusquement en fichant sa proue dans le sol. Et puis, plus rien. La vague sensation de basculer en avant, le souvenir de voix en train de hurler et une obscurité soudaine.
En face de Jaina, Tahiri était assise sur une litière à côté d’Anakin, un bras – apparemment fracturé – posé sur la conque dans laquelle était enchâssé le corps du jeune homme. A peine lucide, elle était en train de lui parler, décrivant comment ils avaient réussi à le retrouver dans le funérarium des Yuuzhan Vong.
A l’arrière du vaisseau, Lowbacca poussa un long gémissement en déplaçant quelque chose de très lourd. Puis il marmonna doucement, se parlant à lui-même d’une voix de Wookiee souffrant d’un traumatisme crânien, et sembla laisser tomber quelque chose de rocailleux dans une mare de liquide visqueux. Une détonation mouillée retentit, suivie, quelques instants plus tard, du craquement caractéristique d’une boule de plasma en pleine éruption.
– Un peu court ! cria Alema depuis la porte avant. Redresse d’un degré et tu devrais arriver à leur roussir le poil.
– Je suppose que nous sommes attaqués, dit Jaina à Zekk.
– Pas vraiment attaqués, non, mais ils se rapprochent, confirma Zekk. Nom Anor va essayer de nous capturer vivants.
Un sourire dédaigneux se dessina sur les lèvres de Jaina.
– Qu’il essaye un peu… (Elle fit basculer ses jambes pardessus le rebord de sa litière improvisée et s’empara de son blaster.) On va bien s’amuser…
Après toutes ces décennies passées à arpenter la galaxie de long en large, Han n’avait jamais rien entendu d’aussi glaçant que le gémissement de détresse hululé par une femelle Noghri. Le son évoquait celui que produisait un panneau de duracier en train de se rétracter, ou bien la perturbation qu’émettait une étoile juste au moment où elle se transformait en nova. Même en étant séparé du sinistre hurlement par des portes blindées, et éloigné de près de la moitié de la longueur du Faucon Millennium, Han sentit un frisson lui courir dans le dos et des larmes lui monter aux yeux. Cela faisait dix-huit ans qu’il fréquentait les Noghri et il était toujours incapable de prétendre les connaître ou les comprendre. Mais il savait qu’il leur devait énormément et cela lui faisait une peine infinie chaque fois que l’un d’entre eux perdait sa vie pour sauver celle d’un des membres de sa famille.
Han s’essuya les yeux et regarda par la verrière du cockpit l’averse infernale de vaisseaux en proie aux flammes sur le point de s’écraser. Il vérifia la température de l’unité de refroidissement.
– Il nous reste quatre-vingt-dix secondes. Après cela, on se transformera en boule de feu et on ira s’écraser contre l’un des immeubles des alentours. Tu crois qu’il nous reste assez de puissance pour aller refaire le plein à la Cité Impériale ? A moins qu’on tente le coup aux Plateaux de Calocour… (Il attendit une seconde, puis cinq, puis dix.) T’en penses quoi, Leia ?
Elle ne répondit pas. Han se tourna vers elle. Elle était assise, raide comme la justice, dans ce siège de copilote bien trop grand pour elle, les mains croisées sur les genoux, le regard posé sur ses pieds. Pour la première fois, Han remarqua combien le vieux siège de Chewbacca était démesuré pour elle.
Il lui secoua le bras.
– Leia ? Réveille-toi ! J’ai besoin de toi !
Leia releva les yeux et regarda par la verrière en direction des volutes de fumées s’échappant d’un destroyer stellaire sur le point de s’écraser dans le lointain.
– Pourquoi aurais-tu besoin de moi, Han ? Si c’est pour que je te laisse tomber…
– Me laisser tomber ? répéta Han. T’es dingue ou quoi ? Tu ne m’as jamais laissé tomber !
Finalement, Leia se tourna vers lui.
– Si, Han. Je t’ai laissé tomber. Je suis partie à la poursuite de Viqi Shesh…
– Et moi aussi.
– Mais tu n’as pas perdu Ben et tu n’as pas causé la disparition d’Adarakh.
– Ah oui ? (Han jeta un coup d’œil vers sa jauge de température puis embrassa le cockpit du regard de façon très théâtrale.) Tiens, c’est vrai, ils ne sont pas là…
– Han ! soupira Leia d’un ton excédé avant de porter son regard sur le paysage urbain de Coruscant, ravagé par les incendies. Tu sais très bien ce que je veux dire.
– Je suppose que oui, dit-il, plus sérieux. Je ne pensais pas que tu tournerais le dos à tout ça, comme moi je l’ai fait. Je te croyais plus forte que ça.
Leia pivota dans son siège et, pour la première fois, sembla réellement le regarder.
– Comment peux-tu dire une chose pareille ? (Sa voix, pourtant très calme, trahissait la profondeur de sa colère.) Tu dois avoir de la peine, toi aussi, non ? A moins que tu ne te soucies que des Wookiees…
– Non, j’ai de la peine. (Han parvint à tenir sa propre colère en respect en se rappelant que l’amertume de son épouse était plutôt un bon signe. Toute réaction émotionnelle de sa part était un bon signe.) Et c’est pourquoi je ne vais pas tout laisser tomber cette fois-ci. Je ne laisserai plus jamais rien tomber. Anakin et Chewbacca ont peut-être disparu, tout comme Adarakh, voire Ben, Luke et Mara… Mais nous, nous sommes toujours tous les deux.
– C’est tout ce qui nous reste, dit Leia en regardant à nouveau par la verrière.
– Et l’espoir, aussi, insista Han. Tant que nous sommes ensemble, il y a toujours de l’espoir. Pour nous, pour Jacen, pour Jaina – où qu’ils soient – et pour la Nouvelle République.
– La Nouvelle République ? (La voix de Leia s’était élevée si brusquement qu’elle rivalisait à présent avec les gémissements de Meewahl.) Tu es aveugle ou quoi ? Il n’y a plus de Nouvelle République ! Elle était morte bien avant que les Yuuzhan Vong n’apparaissent !
– Non, ce n’est pas vrai, rétorqua Han, incapable de contenir sa colère plus longtemps. Car, si c’était le cas, Anakin serait mort pour rien !
Il regarda à nouveau la jauge de température de l’unité de fusion. Il remarqua qu’il ne leur restait plus que trente secondes avant d’être transformés en cratère béant. Han n’ajouta rien. Si son épouse avait réellement abandonné tout espoir, il ne voyait pas pourquoi il perdrait son temps à se battre tout seul.
La bouche de Leia s’entrouvrit, comme si elle s’apprêtait à lui crier dessus, mais c’est alors qu’elle découvrit l’instrument sur lequel étaient posés les yeux de son mari depuis le début de la conversation. Son visage se figea. Han sentit qu’elle était en train de l’observer alors qu’il contemplait la jauge. L’indicateur de la jauge monta encore d’un cran.
– C’est un coup de bluff ? demanda Leia.
– Non, juste un pari très dangereux, répondit Han.
Jaina et Jacen étaient toujours en vie et il n’avait pas l’intention de laisser la détresse de Leia ronger les derniers espoirs qui leur restaient.
Leia vit l’indicateur de température monter d’un autre cran.
– A la Cité Impériale !
– Calocour, c’est plus près, dit Han dans un souffle.
– Han !
Han fit pivoter le Faucon et égrena silencieusement les secondes dans sa tête.
– Va te poser sur l’aire réservée au Chef d’Etat, dit Leia. Il faut qu’on parle à Borsk.
– Tu crois que Borsk est encore sur Coruscant ? fit Han en avalant de travers.
– Où veux-tu qu’il soit ? Retourné sur Bothawui ? J’en doute ! (Leia sortit un databloc du logement situé dans l’accoudoir de son fauteuil et, avec l’aisance de la politicienne expérimentée, commença à rédiger des notes.) J’ai un petit service à lui rendre.